Lisbeï
Grand tripotage de nombril et autres divagations
décembre 12, 2003
Il regardait ces quelques photos disséminées sur le mur.
Eté 2002. L’été du retour. Un des plus bel été de ma vie. En vacances une semaine au soleil de Touraine avec maman et Yann, une semaine culturelle avec ses enfants adorés dans cette région qu’elle rêvait de découvrir depuis toujours. Une semaine de soleil, de blés mûrs, de tournesols, de ballades et d’apéros à l’ombre de cette extraordinaire bâtisse perdue au milieu des champs… Toujours, je me souviendrais de son regard ce jour là, quand nous sommes arrivés avec Yann, en lui tendant ce petit paquet: une carte routière, un guide touristique, une photo de la maison et un petit mot: “on part samedi tous les trois”. Elle était si heureuse, et j’étais si heureuse de la voir heureuse, ne serait-ce que pour quelques jours… Restent de merveilleux souvenirs de paix, de tendresse et de respect. Premières vacances ensemble depuis la nuit des temps, chacun retrouvant ses marques et ses fonctionnalités par rapport aux autres membres de l’équipage… L’équipage que nous ne cesserons jamais d’être…

Il regardait ces photos sur le mur, les photos de Chennonceau et d’Amboise. Il découvrait ces images de maman, intemporellement belle, et de Yann au charme étincelant, Yann et maman à la génétique alliée. Et ces images de moi. Avec 10 kilos de plus. Dans mon vieux short en jean que je traîne depuis 10 ans. Avec cette stupide envie de nattes qui m’avait prise ce jour là. Il regardait ces photos, et il ne disait rien. Au bout de quelques secondes, il m’a tendu la photo en évitant mon regard, puis a murmuré un « Tu es mieux maintenant » du bout des lèvres…

« Tu es mieux maintenant ». Avec dix kilos de moins. Avec des cheveux longs. Avec une touche de rimmel. Je suis mieux maintenant. Certes. Mais je regarde ces photos, je regarde ces images de moi… Je suis la même pourtant. La même, à l’intérieur. J’aimais déjà les livres et la musique, j’avais déjà ces « s » et ces « ch » parfois un peu trop sifflants, des opinions trop tranchées et un rire trop sonore. Le fond était déjà là. Mais si on s’était rencontré à ce moment là, il semble que ce fond n’aurait pas suscité les mêmes réactions, masqué par cette forme alourdie… Soyons cash : avec 10 kilos de plus, il ne m’aurait même pas adressé la parole… Ils ne m’auraient même pas honorée d’un sourire…

Je me souviens de cet été là. J’étais bien. J’étais heureuse. Je me sentais bien, je me sentais belle, vivre était léger… La vie était formidable, j’avais gagné mon pari, j’étais rentrée la tête haute à Paris, j’avais décroché un appart’ et un boulot en moins de deux mois, repris contact avec plein d’amis, retrouvé ma place et mon autonomie, retrouvé mon anonymat et ma liberté, retrouvé cette ville qui est mienne comme je suis sienne… La vie était de nouveau une fougueuse aventure remplie de surprises et de clins d’œil, de destins croisés et de défis… Mais j’avais 10 kilos de plus… Et c’est bien pour ça que moi qui déteste les photos, qui déteste ces images comme autant de preuves à charge sur ce que je suis et je ne devrais pas être, c’est bien pour ça qu’elles sont sur le mur ces photos. Pour que je me souviennes que même quand moi je me sens belle, concrètement je ne le suis pas. Pas assez. Pas assez pour eux. Et que le fond, ils s’en moquent. Qui je suis, ce que je ressens, ce que je donne, ils s’en moquent. Ca ne les intéresse pas de le connaître ou de le découvrir. Il n’y a que le plumage… Eventuellement, si le plumage scintille, on condescendra à supporter le ramage… Comment expliquer que chaque « tu es mieux comme ça » est un coup de poignard dans le cœur ? Comment dire que chaque « compliment », y compris quand il vient des amis vrais ou de la famille voire même encore plus, résonne comme un « je ne t’aime que si tu es belle. Quand tu ne l’est pas, je t’aime moins, voire je ne t’aime plus. Mon amour pour toi est conditionné par ta beauté ou ta laideur physique, et non par ce que tu es sur le fond » ? Comment pourrais-je jamais faire réellement confiance aux hommes, à ces hommes ? Comment pourrais-je jamais avoir de l’estime, du respect pour eux et pour leurs mots en sachant que leur « amour » ne tient qu’à ça ? Des histoires de balance? Ces hommes qui font entrevoir monts et merveilles et qui disparaîtront le jour où le plumage se sera terni ? Si c’est déjà ça alors que je suis au plus bel âge, qu’est-ce que ça sera à 40 ans, 50 ans, 60 ans ?

Cette éternelle conversation qui nous berce depuis notre adolescence et qui ponctue notre adultescence avec Yann, sur l’être et le paraître, le faux et le vrai, le fond et la forme, « l’amour vrai », monsieur Yann érigeant toute une liste de critères envers « ses femmes » tous plus pointilleux et réducteurs les uns que les autres… Il n’y a que peu de temps que je crois avoir réussi à lui faire comprendre le mépris voire la haine que m’inspirent ces hommes qu’il est si facile de charmer d’un regard, d’un sourire, d’un frôlement ou d’un tortillement, ces hommes qu’on manipule comme de la chair à canon, ces hommes qu’on baise avec leur consentement et qu’on quitte avant la premier café du matin parce que de toute façon ce n’est pas votre conversation qui les intéresse… Surtout pas… Mépris tellement lassant que je ne m’adonne même plus à ce sport là… A quoi bon… Tellement prévisible, tellement écrit d’avance… Je préfère encore rester au chaud sous ma couette avec un bouquin…

Mais ressentiment aussi envers ceux qui auraient des choses à dire le lendemain matin, et même auxquels parfois j’aurais envie aussi de parler… Parce que je sais que ces moments, ces mots n’existeraient pas si le papier-cadeau était moins attrayant… Il n’auraient jamais pris la peine de regarder dans la boite… Et que le jour où la boite flanchera, pour une raison ou une autre, ce jour là, pff… Disparu… Le plus souvent avec le contenu de la boite, bien évidement… Un beau cœur agonisant… Parce qu’ils partiront, toujours au moment où j’aurai le plus besoin d’eux, toujours au moment où j’aurai tellement donné que je serai vide et molle et lugubre…Faible… Du moins un peu moins forte… J’aurai le mauvais goût de ne pas « assurer », pour une fois… Et je sais qu’on ne me le pardonnera pas… Comment exprimer ce ressentiment envers ces hommes intelligents, parce que le pire c’est qu’ils le sont souvent, envers ces hommes « biens », envers ces hommes pour lesquels je n’aurai été que du papier-peint il y a peu, que leurs discours sur ma personne m’écoeure de mensonge, d’hypocrisie et d’abandon…Comment expliquer que je me sens sale et humiliée de lire le désir dans leurs yeux, de lire ce désir de chair désirable, et de les écouter flatter le fond… Fond sur lequel ils crachaient d’indifférence il y a encore quelques mois… Et pourtant, moi, j’étais déjà moi il y a quelques mois… Et j’étais même très heureuse… Mais j’avais 10 kilos de plus… Et ils m’auraient ignorée…

Je me souviens des deux seuls hommes qui ont répondu à cette question muette pour l’un (« j’ai toujours aimé ton corps ») et posée pour l’autre. « Tayeb, qu’est ce que tu préfères ? ». Et cette réponse claire, les yeux dans les yeux, Tayeb qui connaît mon corps presque comme le sien, Tayeb qui a aimé mon corps à 16 ans, 19 ans, 20 ans, 23 ans, 26 ans, 29 ans, les cheveux courts, mi-longs, longs, 20 kilos en plus ou en moins suivant les époques, les périodes, les phases, ce regard net et droit et pacifique entre deux caresses, ces mots qui pour moi restent uniques, ces trois petits mots … « J’aime tout »… Tayeb qui lui aimait le fond autant que la forme, qui les aime encore peut-être comme moi je l’aime lui encore toujours, tant son fond que sa forme… Parce que quel que soient nos avenirs, le sien, le mien, quel que soit le temps et les silences, cet amour là restera jusqu’à l’épitaphe… Et que oui, on peut aimer plusieurs hommes au même moment, et que ce qui est offert à l’un ne l’est jamais au détriment de l’autre…

Longtemps j’ai combattu ça. J’ai imposé le « Je suis grosse et c’est comme ça qu’on m’aime ou qu’on ne m’aime pas, mais ça ne change rien au vrai moi ». Certains m’ont aimée. Beaucoup plus, pas.
Je ne suis ni anorexique ni boulimique. Je suis gourmande, je mange plus par habitude et par plaisir que par faim, presque comme la cigarette. Et je sais que je maigris quand ça ne va pas et que je grossis quand ça va. Pour la première fois de ma vie, je tente de trouver un équilibre. Je maigris, et pourtant sur le fond ça va. Si, si, ça va, sinon je n’écrirais même pas. Ou plutôt même plus. Comme pendant toutes ces années. Si les écoutilles sont ouvertes c’est que, même si de temps en temps je prends un grain dans le nez, sur le fond ça va. Pour la première fois de ma vie, je peux mettre un pantalon 2 mois de suite… Ni repris, ni perdu… Stable… Je me sens bien comme ça, tout en étant tellement perdue par rapport à mon propre corps, tout en étant incapable de le trouver beau ou laid, gros ou mince… On va dire qu’il est « potelé », qu’il est mignon ce mot… Il faut que je le ré-apprivoise ce corps, que je prenne l’habitude de ses nouveaux contours…

Mais toute ma vie, il va falloir que je me batte pour préserver cet équilibre sur le fil du rasoir, toute ma vie il va me falloir trembler de subir l’abandon le jour où le ramage se sera affaissé… Comment aimer tout en tentant de se préserver, de prévenir, de se blinder contre l’inéluctable ? Je n'ai pas réussis, je ne pense pas réussir. Comment aimer et accepter d’être aimée tout en sachant qu’il supportera la version « chiante mais jolie » mais pas celle « chiante mais moche » ? Comment faire confiance en sachant que son amour tiendra plus à ma forme qu’à mon fond ? Comment vivre dans ce mensonge, d’être aimée pour ce que je ne suis pas ?

Alors je vire carmélite.
Je sais, ce n'est pas très constructif. Mais je n’ai pas trouvé d’autre issue.
posted by Lisbeï @ 12/12/2003 07:44:00 PM ::
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